[BD] Le déradicaliseur : le doute est un sport de combat

Après Joanne Lebster que l’on avait chroniqué l’an dernier, le scénariste lyonnais Marc Chinal et le dessinateur Mathieu Bertrand sont de retour dans les bacs des librairies lyonnaises avec leur nouvelle bande dessinée, Le déradicaliseur. C’est bientôt Noël, profitons-en.
Ce nouvel opus propose une nouvelle fois de faire réfléchir le lecteur, à travers les échanges entre un jeune radicalisé et un éducateur – le fameux « déradicaliseur ». Un propos qui n’est pas sans parti pris, mais qui prêche la cohabitation éclairée des idées et des cultes, à travers « l’absolu relatif » qu’il promeut.

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(c) Ed. RJTP

Loin du festival de couleurs chaleureuses qui illustraient la transition post-monétaire de Joanne Lebster, l’impression de brutalité des pages du Déradicaliseur en dessin direct (au fusain ou à l’encre, « sans crayonné préalable » précise le dessinateur) annonce qu’on ne va pas beaucoup rigoler, en dépit d’une couverture warholienne. Un austère noir et blanc au service du propos suivant : comment échanger avec quelqu’un dont les idées et opinions sont figées, enfermées dans les dogmes d’une idéologie ou d’une religion.

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(c) Ed. RJTP

C’est la mission du déradicaliseur, face à un jeune garçon détenu dans un centre pénitentiaire : fissurer ses convictions, démonter les arguments de propagande dont le prisonnier est imprégné.

Si l’actualité nous amène à situer ces dialogues dans un contexte islamiste, l’Islam n’est jamais cité et encore moins ciblé, et pour cause : le propos s’adresse à tous les extrémismes, qu’ils soient religieux, politiques ou… économiques.

L’ambition de cette bande dessinée est plus philosophique, au final : intégrer la remise en question systématique des dogmes et des vérités énoncées, afin de construire une pensée ou une foi qui soient personnelles et basées sur la culture et la connaissance, et dans le respect de celles des autres. Le fameux « absolu relatif » dont se targue le déradicaliseur, en apôtre laïc solitaire.

Bref, le cadeau parfait pour s’engueuler au réveillon familial autour de nouveaux sujets de débats. Merci qui ?

Si le site de la BD propose une excellente interview de présentation, on a quand même posé quelques questions à Marc Chinal :

– Qu’est-ce qui a motivé cette BD ?
Je n’ai vu personne tenir le discours qui est tenu dans cette BD et je pense qu’il manque au débat (même s’il n’y a aucun réel débat de fond de notre société sur ce sujet, très malheureusement).

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(c) Ed. RJTP

– Pour surmonter les extrémismes, pourquoi ton choix du dialogue et du partage de connaissance ?
C’est ça, ou être soi-même un extrémiste en répandant encore plus de violence. Comme expliqué dans la BD, la violence est l’expression de la frustration, de l’impuissance intellectuelle, qu’elle vienne d’un État ou d’un individu. Or il y a des réponses.

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(c) Ed. RJTP

– Dans la démarche de ton déradicaliseur, on a le sentiment d’une mission personnelle. Au quotidien, comment fait-on pour garder la foi et continuer à lutter contre l’obscurantisme ?
Le déradicaliseur est lui aussi pris dans une sorte de nasse, et lui aussi ne voit qu’une solution : mais contrairement aux extrémistes de tous poils qui ne voient que la « solution » de la violence, lui veut aller jusqu’au bout des raisonnements, communiquer sans tabou. Sa « lumière » c’est arriver à déterminer, à se rapprocher de la réalité et non de la vérité, quitte à devoir admettre qu’il participe aussi à certaines hypocrisies.
Au quotidien, on n’a pas à garder la foi pour lutter contre l’obscurantisme. Nos valeurs sont internes, et elles restent là même si elles peuvent évoluer. La question est surtout de savoir quelles forces on peut se permettre de dépenser vers l’extérieur, de connaître ses limites, d’admettre qu’on n’est pas Atlas soutenant le monde.
On peut, face à la tâche, abandonner et se replier sur soi-même.
Ou on peut faire sa part, et amener sa petite flemme en la tenant devant soi, tout en sachant que faire apparaître une flemme, c’est aussi créer une ombre derrière soi et qu’on a besoin des autres pour éclairer cette ombre.
L’humanité adolescente doit devenir adulte. Les extrémistes doivent devenir adultes. En face, les humains-moutons doivent aussi devenir adultes. C’est ça, ou l’humanité disparaîtra.
Un stade de l’Histoire… terrifiant, mais passionnant.

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(c) Ed. RJTP

Le déradicaliseur

Scénario : Marc Chinal / Dessin : Mathieu Bertrand / 12,50 €

  • BD à commander sur le site des Editions RJTP ou dans les rayons de nombreuses librairies lyonnaises
  • Signatures de la BD et présences en festivals à suivre ici

 

 

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2 réflexions sur “[BD] Le déradicaliseur : le doute est un sport de combat

  1. Le coup de crayon n’est pas sans me rappeler : Emmanuel Guibert (auteur du Photographe et de la Guerre d’Alan).
    Le sujet, certes sensible, n’en est pas moins passionnant humainement parlant.
    Je note ça sur mes tablettes et je suggérai (au delà de l’achat plausible) à ma bibliothèque de quartier de l’intégrer dans son fonds :).

    J’aime

  2. Pingback: [BD] Pierre Poivre, premier écologiste lyonnais ? | toniolibero

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