À Lyon, le coronavirus touche aussi la presse écrite

Depuis quelques semaines, le pays vit au rythme du coronavirus. Le secteur de la presse n’est pas épargné par une crise sanitaire soudaine et sans précédent, et si l’heure est grave pour les rédactions lyonnaises, elles sont loin d’abdiquer : malgré des situations économiques fragilisées, leur engagement dans leur mission d’informer n’a jamais semblé aussi déterminé.

NB : cet article est mis à jour périodiquement, en fonction des informations ou précisions portées à ma connaissance. Détail des modifications en fin d’article.

Chômage partiel et parutions perturbées

Pas de répit pour la presse locale. Après le marathon inachevé des municipales, le coronavirus a chamboulé l’organisation des rédactions. De nombreux achats d’espaces publicitaires ont été annulés, particulièrement de la part des acteurs culturels qui ont dû fermer leurs salles de spectacle, de cinéma ou annuler leurs festivals. Et qui étaient de points de distribution pour Le Petit Bulletin ou Hétéroclite. Sébastien Broquet, rédacteur en chef de l’édition lyonnaise du Petit Bulletin, dresse un constat sans appel : “on est un journal à l’ADN culture, donc on ramasse de plein fouet. En prime, nos deux événements sont repoussés (Peinture Fraîche et Lyon Bière Festival). C’est, bien sûr, un très sérieux danger, on ne sait pas comment on va s’en sortir pour l’instant, ça dépendra de la durée du confinement, de comment vont se relever les structures culturelles avec lesquelles on travaille, et du soutien des collectivités.”. Outre la publicité, l’organisation d’événements est l’une des autres sources de financement de certains titres locaux.
Le magazine gratuit Hétéroclite est aussi en chômage partiel, et se concentre sur l’animation du site web. Son numéro papier d’avril est en stand by, pour ces même raisons de disparition des rentrées publicitaires et d’évaporation des lieux de distribution.
De nombreuses rédactions font appel à des pigistes, une catégorie qui subit aussi de plein fouet l’annulation de commandes, sans pouvoir bénéficier des mesures de chômage partiel ou technique…

Même son de cloche pour Dalya Daoud, redchef de Rue89Lyon : “Nous sommes parmi les premiers sites d’info à avoir lancé une plateforme de publication d’annonces légales depuis que la loi nous le permet. Nous n’avons eu de cesse de trouver de nouveaux axes de développement depuis notre création pour nous reposer le moins possible sur les revenus publicitaires, qui s’effondrent depuis le début de la pandémie en France et l’annulation des événements culturels et autres manifestations. Rue89Lyon est une micro-entreprise détenue par ses deux journalistes cofondateurs et d’un point de vue économique, nous allons comme beaucoup de structures devoir accuser le coup.”

Sur un modèle économique uniquement basé sur les abonnements et sans vente d’espace publicitaire, Mediacités Lyon s’apprête aussi à souffrir : “ce qui nous protège c’est le fait que la très grande majorité de nos abonnés sont abonnés à l’année. Donc ils sont plus fidèles et ne vont pas nous lâcher d’un jour (ou mois) sur l’autre pour cause de coronavirus. Et puis, comme on n’a pas de pub, on ne subira pas la baisse des budgets de com des boîtes, car comme toutes les entreprises vont chercher à réduire les dépenses pour surmonter la crise, celles qui communiquent sabreront dans le superflu/non vital, dont les budgets pubs… mais on sera quand même fortement impacté économiquement”, s’inquiète Nicolas Barriquand, le rédacteur en chef de l’antenne lyonnaise de Mediacités.

L’inquiétude générale porte aussi sur la durée de cette situation de crise, que personne ne peut prévoir à l’heure actuelle. Pour Antoine Comte, aux manettes de Tribune de Lyon, “plus la crise va durer, plus ça va être compliqué pour nous parce que les annonceurs ne vont pas suivre. Pour le moment, les annonces légales se maintiennent, mais si la situation perdure il y en aura de moins en moins. Plus la crise va durer, plus on va souffrir. Avec quelles conséquences, et quelles décisions il faudra prendre, c’est encore trop tôt pour le dire. Du chômage partiel a été mis en place, pour préserver notre trésorerie. Mais quasiment tous nos journalistes travaillent, en télétravail. On vit une crise qui est difficile, mais on vit aussi un moment historique pour notre journal, en terme de solidarité.” Un chômage partiel qui toucherait déjà la majorité des rédactions contactées, LyonMag inclus, d’après nos informations. Pour le moment, Lyon Capitale y échappe et ne l’envisage pas. Vaisseau amiral local, Le Progrès n’est pas épargné et jongle avec la baisse d’activité et la gestion des salarié.e.s, entre congés anticipés ou de garde d’enfants, avant d’annoncer là encore de probables mesures de chômage technique ou partiel qui toucheront la rédaction.

Show must go on

Pour autant, la priorité est à l’information, malgré les difficultés. Pour des raisons sanitaires, Le Progrès envisage d’arrêter une rotative sur les deux de l’imprimerie de Chassieu, entraînant potentiellement une baisse des tirages. Dans un entretien à Our(s), le rédac’chef Xavier Antoyé précise même que “chaque département est passé en édition unique. Le Rhône compte par exemple six éditions habituellement”. Et s’ajoute parfois aussi le problème de livraison à celui des points de distribution…

Si Lyon Capitale prévoit toujours de faire paraître son édition mensuelle d’avril en continuant à animer quotidiennement son site, Le Petit Bulletin – dont toute la rédaction est en chômage partiel – a dû annuler sa version papier, mais a diffusé un très beau numéro sur son site internet, en version PDF et appelé « PB Fantôme », sans publicité, fabriqué en 24 heures avec des plumes invitées. Une version digitale du journal liée à la chute des achats publicitaires ainsi qu’à la fermeture des lieux culturels, qui représentent d’après Sébastien Broquet 90% des points de distribution du journal.  On vous invite évidemment à jeter un œil sur ce numéro très particulier et symbolique de la vitalité qui anime l’équipe.

Chez Tribune de Lyon, pas d’autre choix que de naviguer à vue, pour Antoine Comte, après un numéro spécial sorti la semaine dernière et quasiment dédié au coronavirus : “on décide un peu à la semaine, ce qu’on fait. On voit en fonction des ventes, des résultats. On a eu de très bonnes ventes sur notre numéro spécial. On se disait que les gens n’allaient pas sortir parce qu’ils sont confinés, mais ils passent aux kiosques quand ils font leurs courses. On a même constaté des ruptures de stock, ça nous a motivé pour sortir un nouveau numéro print jeudi prochain. On a aussi gagné des abonnés, et dès mercredi, on va mettre en place une nouvelle offre d’abonnement avec un mois gratuit. On s’est dit que, pendant cette période de crise, autant aider les lecteurs à consulter la presse.” Au sein du groupe Rosebud, auquel Tribune de Lyon appartient, le deuxième numéro de Lyon Décideurs va être présent en kiosque fin mars, mais les parutions print des titres Grain de Sel et Exit ont été suspendues, la parution saisonnière de Lyfe prévue en juin dépendra de la suite des événements.

La presse spécialisée est évidemment impactée. Le Journal des Entreprises a réussi à limiter la casse, comme l’indique Pierre Lelièvre, journaliste économique à Lyon pour le JDE : « depuis le début de la crise, l’ensemble du site est ouvert en libre accès. Notre rédaction locale de la région AURA (deux journalistes permanents à Lyon, un à Saint-Etienne) est en télétravail tant que le confinement est en place, et nous ne sommes pas touchés par les mesures de chômage technique ou partiel. Pour le print, nous avons tout mis en œuvre pour que le daté avril soit imprimé après la défaillance de notre imprimeur habituel. L’impression du daté mai est plus aléatoire notamment parce que nombre de magazines basculent actuellement sur le tout web et que, par effet domino nombre d’imprimeries vont fermer. »
Chez MacGeneration, basé à Lyon et dédié aux actus de la marque à la pomme, pas de chômage partiel de prévu non plus pour les six journalistes de la rédaction, malgré là encore un impact sur les achats d’espaces publicitaires.2020-03_Presse-coronavirus_Ours

Quid des médias en cours de création ? Après un crowdfunding réussi, Our(s) surveille la situation, mais avec une moindre inquiétude. Directeur de la publication et co-créateur du nouveau média spécialisé en communication et marketing destiné à reprendre le flambeau du défunt InterMédia, Mathieu Ozanam se veut rassurant : « nous avons été très raisonnables dans nos objectifs ». Si le confinement a stoppé net la tournée de présentation auprès des Clubs de la Presse de la région, le site internet continue d’être alimenté. Dans son modèle économique, Our(s) a choisi de varier les sources de revenus pour ne pas se baser sur l’achat d’espace et compte aussi se rémunérer sur une plateforme de mise en relation entre entreprises et agences de communication annoncée pour juin, ainsi que sur de l’événementiel. Tout au plus la crise sanitaire amène à décaler d’avril à mai la date de parution de la version print, ainsi que son sommaire : le dossier prévu sur l’expansion des podcasts fera place à un gros dossier sur le coronavirus et ce qu’il implique : changements d’organisation, communication de crise, apparition de nouveaux outils, technologies, sens de l’intérêt général…

The day after tomorrow

On va serrer les dents. Ça va être dur. Derrière la reprise sera sûrement longue et côté pub on vit d’annonceurs culturels donc autant dire qu’avant qu’on revoie une pub culturelle, c’est pas demain”, prévoit Bertrand Enjalbal de Rue89Lyon. Et l’urgence est là.
Quelles solutions envisager ? Pour Sébastien Broquet, “des mesures au niveau gouvernemental, il en faudra. Il en faudra aussi au niveau local. Villes, région et métropole vont devoir soutenir, c’est aussi le sens de notre Appel des Indépendants de Lyon dont font aussi partie Tribune de Lyon et Rue89Lyon : montrer l’écosystème indé et interconnecté entre culture et médias. Il y a une vraie écoute, on espère que ça va se traduire par des faits. Mais c’est encore flou : on a tous conscience que l’urgence, c’est le virus, ce sont les soignants, etc. Donc au niveau des propositions, ça discute au ralenti, mais je pense qu’il y a une prise de conscience.
Le collectif travaille actuellement à des propositions sur la forme que prendrait ce soutien des collectivités locales. Outre la Région qui se serait montrée attentive à la situation, Antoine Comte semble confiant : “Pour avoir échangé avec les équipes de la métropole et de la ville, ils sont conscients qu’on aura besoin d’eux à l’issue de cette crise. Ils ont pris note.

En attendant de se mettre autour d’une table avec les élus, les rédactions regardent vers les dispositifs déjà annoncés, comme le précise Dalya Daoud, tout en levant l’inquiétude qui pourrait poindre en cas d’aide publique extraordinaire : “la métropole ouvre un fonds de soutien de 100 millions d’euros pour les entreprises du territoire, on pense à le solliciter, on est pile dans la cible. On n’a pas de souci à demander ce genre de choses en tant qu’entreprise locale, cela ne touchera pas d’un iota notre indépendance, encore moins dans un contexte pareil.

Les gestes qui sauvent

En attendant la Libération, les rédactions n’ont d’autre choix que de prendre leur mal en patience, tout en s’attelant à la tâche. Avec détermination et passion. Un postulat que l’on pourrait attribuer à toutes les rédactions interrogées, et résumé par Antoine Comte : “On a une mission d’informer les gens, et cette mission-là, on ne peut pas l’abandonner, même en période de crise. Jusqu’à quand on pourra la tenir financièrement, c’est autre chose, mais tant que d’un point de vue éditorial on aura les ressources humaines et financières qui suivent, on continuera à sortir des journaux chaque semaine et à éditer notre site au quotidien pour informer les lyonnais, parce que c’est notre rôle.

J’en terminerai par le message d’un journaliste, simple et basique : “« LISEZ NOUS ». « Nous » en tant que médias lyonnais. Et pas seulement maintenant, mais tout l’année quand on a vraiment du fond à proposer. Aucun de nous, hors Progrès, n’a de chiffres de tirages à la hauteur d’une ville comme Lyon. Pour autant il y a une grande diversité, tous les lecteurs peuvent s’y retrouver. De Lyon Bondy Blog à Rue89Lyon sur internet, Lyon Capitale ou Nouveau Lyon en mensuel, Tribune de Lyon en hebdo, Mag2Lyon, etc. pour les éditions papier… Cette diversité et cette émulation est vraiment top. On couvre tous les sujets, tous les angles, tous les supports, toutes les périodicités…
Un message qui semble déjà compris, mais qui reste à consolider. Comme Tribune de Lyon, Le Progrès a lui aussi vu son nombre d’abonnés numériques et print progresser, et constater des ventes papier satisfaisantes. « Les points de ventes notamment boulangeries compensent les 8% de points de ventes fermés« , indique un compte-rendu syndical du 23 mars. Rue89Lyon a aussi constaté une augmentation des abonnements.
La guerre n’est pour autant pas terminée.

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Lectrices, lecteurs, à vous de jouer : lisez et abonnez-vous à la presse locale, parce que son engagement le mérite.

Pour lire ou vous abonner, c’est par ici :

 

NB : cet article est mis à jour périodiquement, en fonction des informations ou précisions portées à ma connaissance. Détail des modifications en fin d’article.

  • MAJ 23/02/2020 : ajout de la situation d’Hétéroclite, ainsi que des autres titres du groupe Rosebud. Ajout de la situation des pigistes. Ajout de la hausse des abonnements print et web du Progrès et de Rue89lyon.
  • MAJ 24/02/2020 : ajout de la situation du Journal des Entreprises
  • MAJ 06/04/2020 : ajout de la situation de Macgeneration et Our(s)
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