Si la métropole lyonnaise a la chance d’accueillir de nombreux médias, leur situation n’est hélas pas toujours au beau fixe. Notamment pour la presse écrite : grâce à de bonnes ventes au numéro, Tribune de Lyon semble en bonne santé et la situation de LyonMag reste opaque mais sans danger au regard des résultats financier de son propriétaire Espace Group. Mais Le Progrès, vaisseau amiral local, est toujours en quête d’abonnés web malgré un plan Digital First initié fin 2017 qui tarde à porter ses fruits ; Lyon Capitale survit grâce à son actionnaire principal Fiducial malgré de lourdes pertes comme l’a écrit il y a peu Mediacités Lyon; Mediacités Lyon, justement, qui cherche aussi son équilibre via ses campagnes d’abonnement ou sa Société des Amis; la belle newsletter de Raphaël Ruffier-Fossoul L’Arrière-Cour ne permet pas pour autant à son créateur d’en vivre ; quant à Rue89Lyon, rédaction fragile mais résistante dont on a fêté les 10 ans l’année passée, les signaux sont tout aussi alarmants.
En effet, la rédaction menée par Laurent Burlet tire à son tour le signal d’alarme. Resté seul maître à bord depuis le départ de sa co-fondatrice Dalya Daoud vers des contrées littéraires, le directeur de la publication lance un sprint avec un objectif : arriver à convaincre plus de 1000 abonnés pour assurer la survie – voire la pérennité, en fonction du nombre d’abonnés – du titre.
Cette opération passe par l’organisation de nombreux événements ce mois-ci, ainsi que par un partenariat noué avec avec Mediapart, rejoignant Mediacités Lyon dans le club des partenaires du titre d’investigation national.
Pas un hasard, car Laurent Burlet réaffirme l’ADN de Rue89Lyon et revendique un journalisme d’impact, en maintenant le cap rédactionnel sur une trinité jamais désavouée depuis sa création : l’enquête, les reportages et les dossiers de fond. Entretien.
Une nouvelle équipe rédactionnelle, et une nouvelle stratégie de financement pour Rue89Lyon : comment s’explique ce virage vers l’abonnement ?
Laurent Burlet. En 11 ans d’existence, Rue89Lyon a toujours fait le pari de la diversification des sources de revenu. On a produit de la vidéo, de la datavisualisation, des webdocs, des événements, un livre,… Puis on a lancé une formule réservée aux abonnés et la diffusion des annonces légales. Mais la pub et le modèle du tout-gratuit restait majoritaire dans notre modèle économique.
Deux causes économiques nous ont amenés à approfondir la réflexion du côté de l’abonnement. D’un côté, sur le plan économique, la coupe des subventions opérées au printemps par Laurent Wauquiez a eu des répercussions sur nos principaux clients que sont les institutions culturelles. De l’autre, malgré nos efforts, on est confronté au verrouillage du marché des annonces légales. Résultat, Rue89Lyon est confronté au plus gros déficit de son histoire qui n’est pas comblé par les maigres réserves que nous avions accumulées.
A ce constat économique s’ajoute une réflexion éditoriale : plutôt que de tendre vers un site d’actu chaude, nous souhaitons, au contraire, creuser le sillon de l’enquête locale. Face à l’info jetable, nous voulons défendre la valeur de l’information. Le modèle de l’abonnement est le plus pertinent.
Mais cela ne veut pas dire que nous abandonnons la diffusion des annonces légales et la pub comme compléments de revenu. Car il nous faut atteindre 1000 abonnements pour survivre et, surtout, 1600 pour être à l’équilibre, sachant que l’équipe de 5 journalistes ne se paye guère plus que le Smic.
En vue de cette campagne, le programme s’avère chargé avec quatre événements publics programmés en moins d’un mois. L’une des dates abordera le thème du traitement de l’extrême-droite dans les médias lyonnais avec comme invité Usul, une autre se fera en ligne sur le thème de l’indépendance des médias. Comment avez-vous choisi les thèmes, et pourquoi des formats différents ?
On a d’abord voulu aborder quelques thèmes parmi les principales enquêtes que l’on mène au long cours.
Notre rencontre sur l’extrême droite est anglée sur la médiatisation. Car tous les médias traitent de l’extrême droite mais nous sommes les seuls à assumer, localement, un regard engagé sur cette question.
De même pour la question des violences sexuelles et sexistes que nous aborderons à la fin du mois de mars.
Entre ces deux événements, nous allons participer à la projection d’un documentaire sur le combat des familles sur les violences policières. C’est un sujet que nous creusons également.
Outre ces thématiques que nous avons mises en avant, nous organisons un Twitter Space avec nos cousins de Rue89 Bordeaux et Rue89 Strasbourg. Ce sont les deux autres Rue89 avec lesquelles nous partageons les développements web. Comme nous, ils sont indépendants, c’est-à-dire que les journalistes sont les principaux actionnaires des différentes sociétés éditrices. Comme eux, nous évoluons dans un univers médiatique dominé par des médias aux mains de banques, de milliardaires, ou de fonds d’investissement.
Rue89Lyon a annoncé un rapprochement avec Mediapart, en quoi consiste-t-il ? Y a-t-il une entrée au capital comme pour Rue89 Strasbourg ?
L’idée essentielle est que nos enquêtes locales trouvent un écho national, dans un milieu médiatique français encore très centralisé.
Mediapart va donc reprendre les enquêtes qui les intéressent.
On pourra également travailler sur certains sujets en commun, notamment autour de leaks qui pourraient concerner la région lyonnaise.
Pour le moment, il n’est pas prévu d’entrée au capital comme à Rue89 Strasbourg.
En dépit d’un grand nombre de titres de presse à Lyon, les événements organisés par les journalistes sont finalement rares à Lyon. Est-ce que les médias lyonnais ne manquent pas d’incarnation, de présence dans l’espace d’expression de la cité, au-delà des articles ou reportages que l’on peut lire chez chacun ? Ou est-ce que, dorénavant, ces événements sont nécessaires à la visibilité d’un média ?
Je partage cette analyse. Il manque de présence dans l’espace public. Mais cette discrétion s’explique chez Rue89Lyon. Quand vous passez votre énergie et votre temps à creuser et dénicher des infos, vous n’avez pas nécessairement le temps de pouvoir échanger avec nos lecteurs autour de notre travail.
Avec cette campagne de soutien, on se dit que, malgré tout, il faudra développer ce type de rencontres pour gagner en visibilité et pour aller à la rencontre de notre communauté.
Pour soutenir Rue89Lyon : abonnez-vous ou faites un don (défiscalisé)
Et le programme des événements proposés dans le cadre de la campagne :
- [COMPLET] Mercredi 22 février à 19h45 au Boomerang, « Quel traitement médiatique de l’extrême droite à Lyon et ailleurs ? », en présence d’Usul et Philippe Corcuff (maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon).
Plus d’infos
- Mardi 28 février à 18h45 au Ciné Lumière Bellecour, « Violences policières, le combat des familles » en partenariat avec StreetPress. En présence de la réalisatrice Inès Belgacem et des familles de victimes.
Plus d’infos et réservation
- Jeudi 9 mars à 19h30 en direct audio sur Twitter (Space), « Face à la presse des milliardaires et des banquiers, comment faire vivre une presse indépendante locale à Lyon, Bordeaux et Strasbourg ?”, avec les cousins et cousines de Rue89 Strasbourg et de Rue89 Bordeaux.
Plus d’infos et notification de rappel
- Vendredi 10 mars à 12h30 à la Bibliothèque municipale de Lyon, « Presse indépendante, les conditions de la survie », avec nos confrères et consœurs de Mediacités.
Plus d’infos et réservation
- Lundi 13 mars à 19h30 à Hotel71, soirée de soutien à Rue89Lyon, en présence de Fabien Escalona
Plus d’infos et réservation
- Fin mars : « Conférence sur les violences sexistes et sexuelles », avec Sarah Brethes (journaliste à Mediapart) et Isabelle Garcin-Marrou (professeure des universités en sciences de l’information et de la communication à Sciences Po Lyon). Le lieu et le jour seront connus prochainement.
Réservation bientôt disponible ici
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