Conseil municipal de Lyon du 11 mai 2023 : les vœux de la discorde

Fin de conseil municipal houleuse en ce jeudi 11 mai, alors que la majorité a décidé d’amender un vœu et une motion portés par les groupes d’opposition, en se basant sur une interprétation fragile du règlement intérieur.
Une première dans la vie institutionnelle municipale.

Un événement inédit s’est produit en toute fin du conseil municipal du 11 mai 2023, nécessitant même une suspension de séance qui n’a pas permis de faire converger les points de vue. En effet, l’ordre du jour se concluait avec le vote de deux vœux et une motion, tous déposés par des groupes de l’opposition : 

  • un vœu relatif aux voies lyonnaises déposé par le groupe Pour Lyon
  • un vœu relatif aux violences et aux groupuscules extrémistes déposé par le groupe Droite, Centre et Indépendants.
  • une motion relative à la condamnation de l’homophobie déposée par le groupe Pour Lyon

Romain Billard, élu du groupe Droite, Centre et Indépendants

Le premier vœu portant sur les voies lyonnaises a été rejeté en l’état lors du vote par la majorité qui, comme son nom l’indique, est majoritaire. Rien de plus banal. Mais la situation fut bien différente pour le traitement du second vœu et de la motion. En effet, la majorité a souhaité… amender ces textes. 

Pour précision, le règlement intérieur du conseil municipal stipule, dans son article 28, que “les vœux ou motions sont des expressions d’opinions”. Un principe sur lequel a insisté le jeune élu Droite, Centre et Indépendants Romain Billard, à la tête du groupe pour cette séance en l’absence du maire du 2e arrondissement, Pierre Oliver, : un vœu est une expression d’un ou plusieurs groupes, en quoi devrait-il être amendé, modifié par d’autres groupes ?

Le contenu du vœu défendu par l’élu du 6e arrondissement est principalement destiné, de manière générale, à condamner les violences et dégradations qui se sont déroulées lors des manifestations contre la réforme des retraites :

Pourquoi la majorité a-t-elle amendé ce texte ? Pour “aller plus loin”, explique-t-elle dans ses motivations, signées par les trois groupes de la majo, qui souhaite voir apparaître la proposition du maire de Lyon de création d’un fonds d’indemnisation complémentaire financé par l’Etat, à destination des victimes. Le deuxième ajout implique une condamnation de la manière dont s’est déroulé le passage de la réforme devant les instances nationales représentatives, notamment par l’usage du 49.3 sans vote des députés de l’Assemblée nationale :

Des modifications qui, politiquement, valident bien plus la position de la majorité de gauche que des groupes d’opposition, dont les partis sont soit favorables à la réforme, soit appartiennent ou soutiennent la majorité présidentielle. Le texte originel, d’ampleur locale et d’une relative consensualité en condamnant les dommages collatéraux des cortèges, bascule alors sur une prise de position nationale bien plus partisane.

La justification du passage au vote du texte amendé prête à caution : la majorité s’est basée sur l’article 16 du règlement intérieur du conseil municipal, qui signale la possibilité d’amender des rapports, sans mention des délibérations, vœux ou motions.

Pourquoi un amendement et pas un vœu propre à la majorité, à défaut d’un vote ? Les vœux et motion déposés par les groupes d’opposition ont été reçus le vendredi 5 mai (en toute fin de journée, pour le vœu du groupe Droite, Centre et Indépendants), soit la date limite pour déposer un vœu ou une motion (cinq jours francs avant la date du conseil), toujours d’après l’article 28 du règlement intérieur.
Ce timing a pris de court la majorité, qui n’a pu se réunir à temps pour se mettre d’accord sur un texte commun de vœu ou motion. Au pied du mur, restaient donc trois options : 

  • participer au vote des voeux et de la motion portés par les groupes d’opposition
  • risquer la carte de l’amendement, pas tellement dans les habitudes de l’institution

On l’aura compris, c’est cette seconde option qui sera choisie. Les textes d’amendements seront transmis à la Direction des Assemblées le.. 10 mai, soit la veille du conseil.

L’échange entre Romain Billard (de dos) et le maire Grégory Doucet était tendu, lors du débat sur les amendements.

Était-ce la moins pire des solutions ? Cela reste à prouver, tant les réactions des groupes d’opposition ont très fraîchement accueilli la méthode, tant dans la forme que dans l’esprit. “On n’avait jamais osé”, c’est en ces termes que l’un des poids lourd de l’opposition qui a œuvré lors des précédents mandats quittait le conseil municipal. Côté Progressistes et Républicains, l’entourage du groupe de David Kimelfeld et Georges Képénékian porte un jugement sans appel sur l’épisode : “ce qui s’est passé au dernier conseil est très problématique. C’est pour cela que l’on n’a pas participé au vote. Le problème n’est pas tant réglementaire que dans l’esprit des choses. Dans l’esprit du fonctionnement d’un conseil municipal, les vœux et les motions sont des moyens d’expression libre. Et à partir du moment où la majorité se met à proposer des amendements sur des textes qui viennent de leur opposition et que, étant donné qu’ils sont majoritaires, ces modifications sont assurées de passer, cela leur donne un pouvoir de censure qui est extrêmement malvenu. Ils sont en capacité de réécrire systématiquement toute motion ou tout vœux.”

Samira Bacha-Himeur, élue du groupe Pour Lyon, aux côtés de Yann Cucherat

S’ils ont accepté l’amendement de leur motion car ils n’en changeaient pas le fond du texte, le groupe Pour Lyon et son élue Samira Bacha-Himeur condamnent là aussi la méthode, constatant que l’amendement proposé par la majorité sur le vœu de la droite “en changeaient totalement le sens”. Fustigeant une “posture dogmatique” d’une majorité “gênée de ne pas avoir le lead”, elle soulève un autre enjeu : “c’est ne pas respecter les électeurs de l’opposition, ne pas respecter le droit d’expression”

Quid du groupe Droite, Centre et Indépendants ? Son entourage fulmine et déplore la démarche de modification de son vœu : “cette majorité ne supporte pas d’adopter quelque chose qui vient de l’opposition”, rappelant le règlement intérieur et son article 16, dans lequel le droit d’amendement ne s’applique qu’aux rapports. Dans la même veine que Samira Bacha-Himeur, le groupe de la droite lyonnaise dresse un constat amer : “les vœux et motions ne sont qu’à la main de la majorité, et ne peuvent être qu’écrits par elle. Elle amende la pensée des autres”.

Toutefois, la majorité se défend de tout irrégularité. Si l’on a senti dans les rangs de la gauche une certaine gêne au moment des débats sur la légitimité des amendements en conseil, Grégory Doucet adressait le message suivant : ces amendements s’inscrivent dans une démarche de co-construction avec les groupes de l’opposition. Contacté, l’entourage du groupe Les Ecologistes s’estime dans son bon droit, en conformité avec l’article 16 du règlement intérieur. « Au regard des délais, il nous a semblé plus judicieux de passer par l’amendement, cela faisait sens ». Tout en précisant bien que « les vœux et la motion [des groupes d’opposition] étaient justifiés », dans les thèmes qu’ils abordaient, il s’agissait de compléter un vœu qui semblait « incomplet ». Une démarche et un contenu des amendements qui ont fait consensus au sein des trois groupes de la majorité, « alignés ». Le groupe se défend que « la parole est toujours donnée aux groupes d’opposition lors des conseils municipaux, et respectée », et renvoie en miroir au « verrouillage démocratique au conseil régional AuRA » en énumérant les griefs : « pas de droit d’expression en commission permanente, […] espace très contraint dans le magazine régionale (604 caractères espaces compris pour Les Écologistes, premier groupe d’opposition !), [..] micros coupés très régulièrement en assemblée plénière, temps extrêmement contraint (2 minutes pour présenter un amendement ou intervenir sur un rapport sauf exception, 1 minute pour réagir à un autre amendement ou faire une explication de vote) », présentation de « vœux « en urgence » qui n’ont rien d’urgent, et sont envoyés par mail aux élu-s 10 minutes avant leur examen en séance », etc.

Quelles suites à cette affaire ? Droite Centre et Indépendants laisse peu de suspens : “On pense que l’on va aller au tribunal administratif, car c’est une remise en cause du droit d’expression.” Côté Pour Lyon, même tendance : “je pense qu’on va saisir”, indique Samira Bacha-Himeur.

MAJ 16/05/2023 à 13h54 : complément de réponse du groupe Les Écologistes après une première réaction.

Pour Georges Képénékian et les élus de l’opposition, les amendements aux vœux ont fait l’effet d’une douche froide
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