Laurent Burlet quitte Rue89Lyon : bilan de 12 ans de mandat

Après sa rédactrice en chef Dalya Daoud en 2022, Rue89Lyon acte en cette fin d’année 2023 le départ du dernier co-fondateur encore présent : Laurent Burlet. 
Après douze ans de bons et loyaux services, le désormais ex-directeur de la publication laisse les clés du journal – désormais basculé en SCOP – à un triumvirat de journalistes qui occupaient déjà les colonnes du pureplayer lyonnais fondé en 2011. L’occasion de faire un bilan de ce mandat avec lui.

Laurent Burlet (octobre 2023)

Pourquoi tourner la page Rue89Lyon ?
C’est d’abord une envie de renouvellement. Après 19 ans de journalisme à Lyon et 12 ans de Rue89Lyon, j’ai besoin de voir de nouveaux horizons. 
C’est aussi lié à un niveau d’énergie (physique et mental) en baisse ces derniers mois. Or il en faut beaucoup d’énergie pour porter un média local indépendant et d’investigation.

C’était une bonne situation, entrepreneur de presse locale indépendante ?
Si la question concerne le niveau de revenu, la réponse est clairement non. Puisque je touchais à peine l’équivalent d’un Smic sans avoir droit aux indemnités chômage en cas d’arrêt.
Plus globalement, sur un plan économique, diriger un média local indé, c’est se poser constamment la question de l’équilibre entre recettes et dépenses car on ne peut pas compter sur un groupe, une banque ou un milliardaire pour renflouer les caisses. Or personne n’a encore trouvé une solution économique pour faire vivre les sites de presse locaux. À Rue89Lyon, nous avons tenté de nombreuses pistes pour stabiliser voire augmenter nos recettes mais les résultats ont été très mitigés, notamment concernant la vente d’espaces publicitaires et la diffusion des annonces légales. Aujourd’hui le média fait le pari d’un modèle mixte avec l’abonnement comme locomotive. Je pense que c’est certainement la meilleure solution. L’avenir le confirmera. Ou pas.

“L’information est un combat”, la reconnaissance de la presse en ligne tout autant. Rue89Lyon participe aux actions du SPIIL, peux-tu nous expliquer l’importance que cela revêt ?
Comme les sites indé sont de très petits médias, nous nous sommes regroupés au sein d’un syndicat qui défend sur le plan national des revendications pour essayer de faire bouger les lignes sur un plan économique et éditorial (je pense à la protection des sources, par exemple). Rue89Lyon l’a fait pendant une dizaine d’années et continue aujourd’hui à le faire, notamment à travers les Etats généraux de la presse indépendante.
Sur un plan économique, structurellement, nous avons moins de chance de nous en sortir que les gros médias de la presse papier installées depuis des décennies. Par exemple, ce sont ces médias qui touchent la plupart des aides directes à la presse et des aides indirectes (je pense ici aux annonces légales). Ce qui crée un énorme manque à gagner pour nous et, surtout, une grosse distorsion de concurrence. Tout ça doit faire l’objet de réformes qui devraient être pilotées par le ministère de la culture.

Dans l’histoire de Rue89Lyon, de quoi es-tu le plus fier ?
D’avoir réussi à faire durer un média local possédé par ses journalistes fondateurs et journalistiquement engagé pendant 12 ans et d’avoir réussi à le transmettre. 

Combien de journalistes ont collaboré à Rue89Lyon depuis sa création ?
Bonne question ! mais je n’ai pas tenu ce genre de statistiques. Approximativement, environ 70 journalistes professionnels ont écrit depuis la création du site. Parmi elles et eux, une dizaine sont des journalistes en pied. A ceux et celles-là, il faut ajouter également les 4 ou 5 stagiaires que nous avons accueillis par année depuis le début du site et qui ont œuvré comme journaliste en formation.

Dalya Daoud et Laurent Burlet pour les 10 ans de Re89Lyon en juin 2022

Le lecteur ou abonné le plus inattendu ?
Lors de la campagne d’abonnements de mars 2023, un éleveur de brebis de la Drôme a souscrit un abonnement de soutien, en souvenir d’un reportage sur une mobilisation “contre le puçage des moutons” de janvier 2013. Dix ans après, il se souvenait de la qualité de notre travail.

L’article le plus lu ?
Un des articles les plus lus est celui qui explique le “mystère” des rails qui se jettent à la Confluence.

Le scoop le plus marquant ?
Les révélations concernant le “Monsieur cinéma” de l’université Lyon 2. C’est une longue enquête conduite par Oriane Mollaret.

Le plus grand regret ?
Ne pas avoir fait de campagne d’abonnements plus tôt. Nous avons réalisé notre première en 2023. 

Quelle est l’affaire que vous auriez adoré traiter mais que vous avez dû refiler à des collègues ?
Une affaire d’erreur médicale dans le sud de la France. Nous n’avons pas pu la traiter car Rue89Lyon ne couvre, comme son nom l’indique, que la grande région lyonnaise.

La meilleure réaction suite à un article ?
Quand un lecteur ou une lectrice écrit que sans Rue89Lyon cette info ne serait pas sortie.

La pire réaction suite à un article ?
Quand une personne annonce se désabonner à la suite d’un article.

Les meilleures ou pires réactions des confrères suite à des publications qui les concernaient ?
Je me souviens d’un journaliste d’un titre local qui m’avait appelé car il n’avait pas du tout apprécié que je pointe son traitement déshumanisant des habitants d’un bidonville dans l’est de l’agglomération lyonnaise. 

Laurent Burlet en compagnie du sociologue Philippe Corcuff et du youtuber Usul, à l’occasion d’un débat sur la médiatisation de l’extrême-droite organisé par Rue89Lyon (février 2023)

Au passage, Rue89Lyon est, à mon sens, le média lyonnais de référence depuis des années dans le traitement de la présence de l’extrême-droite à Lyon. Peux-tu nous raconter ce que ça implique, d’enquêter et publier des articles sur la fachosphère locale ?
C’est certainement un des sujets les plus difficiles à traiter, car on est directement confronté à la violence des militants d’extrême droite.
On peut faire l’objet de menaces. C’est ce qui m’est arrivé, en 2017, au sommet de l’implantation des groupuscules à Lyon. Malgré cela, il faut continuer à travailler pour montrer le vrai visage de l’extrême droite.

Les élus et patrons bon joueurs ?
Je me souviens surtout de François-Noël Buffet, alors maire d’Oullins, qui répondait volontiers à Rue89Lyon alors même qu’on ne ménageait pas la droite.

L’anecdote sur Rue89Lyon que personne ne connaît, mais maintenant il y a prescription ?
J’ai souvent froid au pied et les locaux de Rue89Lyon sont plutôt mal isolés. Résultat, en hiver, je changeais souvent de chaussettes pour les faire chauffer sur un radiateur et je les oubliais régulièrement. Cette culture de la chaussette était diversement appréciée par les collègues.

On a parfois vu des rapprochement rédactionnels avec Mediacités Lyon. Quels ont été les rapports de Rue89Lyon avec les autres rédactions pendant tes onze années de présence ?
Plutôt des bons rapports car nous n’avons jamais voulu nous positionner comme des redresseurs de torts de la presse locale. Du coup, ça a pu chauffer ponctuellement avec quelques individus, plutôt des directions de médias, mais très rarement avec des journalistes de base.
Médiacités Lyon est un cas à part car c’est également un média indé d’investigation. Il a également, sur le plan national, le même partenaire Mediapart. Ce qui explique les collaborations avec Rue89Lyon

Pierre Lemerle (Rue89Lyon) et Nicolas Barriquand (Mediacités Lyon) lors d’une rencontre autour de la presse indépendante, à la Bibliothèque Municipale de Lyon (mars 2023)

Comment, pour toi, a évolué la presse lyonnaise entre l’arrivée de Rue89Lyon et maintenant ?
La grosse différence avec 2011, c’est la multiplication des titres sur le web. Des médias qui, pour la plupart, ont le traitement de l’actu chaude pour ligne éditoriale.

Quel regard portes-tu sur le boulot de la nouvelle rédaction, depuis que tu leur a laissé les commandes ?
Comme on fonctionnait déjà depuis un an en rédaction en chef tournante, il y a nécessairement eu peu de changement dans les quelques semaines qui se sont écoulées depuis mon départ.
Je suis toutefois bluffé par leur capacité à maintenir une publication soutenue d’articles d’enquête alors même qu’il y a moins de journalistes permanents.

Avant de partir, qu’as-tu dit à l’équipe qui prend ta suite ?
“Le journalisme local d’enquête indépendant est un combat. Mais, dans cet engagement, il ne faut pas s’oublier et savoir s’arrêter quand on commence à être fatigué”.

Rue89Lyon, c’est fini, donc. Quid de la suite pour toi ?
Pour le moment, je me repose. Je commence tout juste à regarder ce que je vais pouvoir faire. C’est donc un peu tôt pour en parler.

Laurent Burlet avec la relève de Rue89Lyon : de gauche à droite, Élian Delacôte, Marie Allenou et Pierre Lemerle. (octobre 2023)

2 réflexions sur “Laurent Burlet quitte Rue89Lyon : bilan de 12 ans de mandat

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