Par-delà la polémique Petit Bulletin/La Première Plantation : une leçon de fooding (et de journalisme)

Un article sur un bar à rhum lyonnais paru dans Le Petit Bulletin a mis le feu aux poudres, les propos malheureux des propriétaires du bar relançant les ventes du Temps béni des colonies de Michel Sardou. Tollé général : reprise dans la presse nationale, pétition en ligne pour la fermeture du lieu (dont on annonce la décision de changer de nom), et commentaires évidemment scandalisés dans une ville où l’ombre de l’extrême-droite plane depuis des années sans faiblir.
Mais au-delà de la polémique, qu’un droit de réponse des propriétaires et un second billet du rédac’chef du PB tentent d’apaiser, intéressons-nous plutôt aux questions que l’on peut se poser sur le traitement du fooding dans les médias et chez les blogueurs. Avec, disons-le clairement, l’espoir que l’on trouvera dans les futurs papiers de chacun autant d’audace et d’éthique pour dénoncer l’inacceptable quand il surgit.

Malgré de nombreux billets médias, on n’avait jamais parlé du Petit Bulletin, émérite gratuit culturel lyonnais, sur ce blog. C’est d’autant plus paradoxal que je l’ai adopté dès mon arrivée lyonnaise en 1998 (je suis vieux, en vrai). Je découvrais un journal gratuit, à l’agenda riche des propositions culturelles de la ville, et surtout, rempli de critiques érudites dans tous les domaines traités : musique, cinéma (éternel respect à Christophe Chabert, admirablement relayé par Vincent Raymond depuis), art (les billets de JED, jamais grand-chose à redire), théâtre (la plume stylée et parfois engagée de Nadja Pobel), etc. Bref, un concentré d’érudition au service de la culture et de ses lecteurs, et très sincèrement, des articles d’anthologie, parfois. Encore une fois, mille mercis à toute l’équipe, présente et passée.

Depuis quelques mois, on a assisté à une diversification des thématiques, plus seulement restreintes aux domaines culturels traditionnellement traités. Si le dossier « nuits » existait déjà il y a des années, on a vu fleurir progressivement d’autres thématiques comme le patrimoine, ou la restauration, un espace kids, l’organisation d’événements, etc. Ce ne sont pas forcément des rubriques qui m’intéressent, mais pourquoi pas aller chercher de nouveaux lecteurs, après tout, tant mieux si ça leur permet de continuer à exister. Pas de raison de ne pas s’occuper de lifestyle quand tous les autres le font aussi, ça reste un marché publicitaire à ne pas négliger quand on est une petite structure.

Bref, le PB, je suis fan. Du contenu, du style, des plumes, et un avis plutôt qu’un communiqué de presse copié-collé. Très bien.

Et là, c'est le drame.

Et là, c’est le drame.

La polémique née du papier de Julie Hainaut sur le bar La Première Plantation m’a fait, pour la première fois, m’intéresser vraiment à un billet fooding. Et m’a rassuré sur l’avenir du traitement de cette thématique.

Après un papier fooding dans un canard, tout le monde est content : le resto a un article qui parle de lui, le journal a rempli ses colonnes avec une info locale, et tient potentiellement un futur client pub.
Et puis le fooding, c’est un domaine neutre. Asexué. Apolémique. Parfait pour la blogosphère lifestyle (dont je fais parfois partie, au bénéfice de quelques invitations) et les comptes Instagram. Et ça tombe bien, on est nombreux à Lyon, en plus.

Bref, dans le monde du fooding, les bars et restaurants ont toujours une déco et un concept sympas, les cocktails (même si, parfois, ils sont hors de prix) font envie, tout comme les différents plats. Tout est toujours super génial.

Et tout d’un coup, l’article du Petit Bulletin.

Tout d’un coup, une journaliste reprend les propos des propriétaires du nouveau bar. Une publication validée après discussion interne par la rédaction, comme le raconte Rue89Lyon. Tout d’un coup, une journaliste ne se censure pas face à une bête apologie d’une culture heureusement révolue.

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Et « rien » que pour ça, merci, Julie Hainaut. Merci de ne pas en être restée à la composition des cocktails de rhums arrangés et d’avoir plutôt osé le contenu de l’inacceptable, d’avoir levé le voile d’une forme de racisme ordinaire banalisé rarement relevé.
Et on souhaite à tous les journalistes, quel que soit leur domaine, de lire ce papier. Pour qu’ils osent à leur tour évoquer les propos sexistes, racistes, rétrogrades auxquels ils font parfois face, en off ou au détour d’une interview préparatoire.

Merci d’avoir rappelé à tous, journalistes et blogueurs, qu’il est parfois nécessaire de rendre la réalité d’une situation pour faire avancer les choses (ou au moins en débattre), de refuser l’auto-censure sans pour autant rechercher la polémique. Merci d’avoir simplement fait du boulot de journaliste. Et ce, malgré le torrent de réactions pas toujours plaisantes qu’il faudra subir en conséquences.

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[MAJ 21/09/2017] Suite à cette affaire, Julie Hainaut rappelle après une semaine mouvementée dans Libération que « les mots ont un sens ».

Une réflexion sur “Par-delà la polémique Petit Bulletin/La Première Plantation : une leçon de fooding (et de journalisme)

  1. Pingback: Après sa chronique sur un bar lyonnais, une journaliste de Lyon harcelée par une nébuleuse raciste

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