Lyon avant le Festival Lumière, les Nuits Sonores ou Grrrnd Zero, ça ressemblait à quoi, culturellement ? Début de réponse au MAC avec la formidable autant qu’inattendue rétro du collectif Frigo (période 1978-1990). Des collaborations avec des structures théâtrales locales aux projets à l’international, retour sur 12 ans d’activités protéiformes. Un témoignage patrimonial plus que judicieux, qui démontre s’il était besoin qu’en art, tout commence par des idées et de l’envie.
“on a voulu s’amuser sérieusement”. Alain Garlan, l’un des co-fondateurs de Frigo avec Gérard Couty et Gérard Bourgey, pose ainsi les fondations de ce collectif jaillissant à Lyon à la fin des années 70. Assemblage hétéroclite et fluctuant de graphistes, vidéastes, performeurs ou danseurs issus d’horizons différents, Frigo a notamment réalisé pendant de nombreuses années les communications visuelles des théâtres historiques montées par la même bande de potes : le villeurbannais TNP (de Planchon et Maréchal) et le vaisois TJA (Théâtre des Jeunes Années, ex-TNG, créé par Maurice Yendt et Michel Dieuaide en 1979 mais dont la compagnie existait depuis les années 60).
C’est donc par un vaste – et non exhaustif – panel des campagnes d’affichage de ces deux scènes historiques que commence l’expo Frigo. Au passage, on trouvera aussi une affiche de la télé locale TLM. En un mot, un trésor d’archives de l’histoire culturelle lyonnaise des années 80.
Cette relation forte avec le TNP et notamment la regrettée Liliane Martinez permettra notamment au collectif de jouer en 1980 son avis de décès, performance improvisée chaque soir sur un texte de Heiner Müller. Liliane Martinez que l’on retrouvera parfois avec Frigo, faisant la billetterie de certaines de leurs performances…
Frigo, c’était d’abord un lieu : le 51 rue Saint-Michel à la Guillotière (en lieu et place de l’actuel 6e Continent). Une ancienne fromagerie dont l’ancienne chambre froide inspirera le nom du collectif. Réparties sur toute la surface du site, les différentes activités de Frigo : un atelier de vidéo expérimentale, un local pour les expos, performances et les pièces de théâtre, des chambres pour héberger les artistes de passage… Et un studio radio, celui de Radio Bellevue.
« La plupart de nos activités sont parties de là : le mix des formes, des langues, des cultures…« . Le mélange, un mantra pour ceux qui se revendiquent du dadaïsme, pataphysique et situationnisme plus que de Fluxus, « un mouvement trop institutionnalisé pour nous« .
A l’avant-garde de la vidéo
La vidéo, c’est l’une des marques de fabrique de Frigo : des vidéos expérimentales qui les verront se produire dans les plus prestigieux centres d’art moderne (dont le Centre Pompidou avec Eau en 1983), ou sa participation à Infermental, un magazine international diffusé à l’époque en K7 VHS. Fidèle à son désir de mélanger les disciplines et à l’initiative de Charles Picq, Frigo sera l’un des premiers à faire se rencontrer la vidéo et la danse, notamment à travers des collaborations avec les chorégraphes Régine Chopinot ou Dominique Bagouet. Frigo est aussi précurseur sur un rythme de montage basé sur la musique et non celui de l’image, comme c’en était l’usage à l’époque. Ce sera aussi le cas pour les clips de Frigo-Code Public, un groupe pop créé « pour occuper tout le monde » et auquel tout le monde participait. On l’a dit, Frigo c’est aussi une histoire humaine, où les petites mains ont aussi leurs places (dont le regretté Néné, que certains ont aussi connu sous le nom de Diego au bar « Aux Sans-Souci », basé à la Guillotière).
Le collectif créera un label de diffusion de vidéos d’art et de musique, Europe Copyright. Frigo sera aussi à l’initiative du réseau European Media Art Network, qui rassemble des structures indépendantes à travers toute l’Europe. L’idée est de faciliter la circulation des vidéos et du cinéma expérimental entre les frontières, à un moment de l’histoire où la Guerre Froide n’incite pas à ouvrir les frontières. Et internet n’existait pas…
Radio Bellevue : la radio libre, c’était aussi à Lyon
Car le son et la musique sont l’un des autres points cardinaux de Frigo. Et à l’image du collectif, les ondes de Radio Bellevue accueilleront des montages sonores, des playlists de labels indépendants internationaux qui leur envoyaient leurs k7 audio, mais aussi des sons de l’époque : Nina Hagen ou Stéphan Eicher (qui ont collaboré avec Frigo), Bashung, Sisters of Mercy, Herbie Hancock, Kraftwerk, Afrika Bambaataa, Run-DMC… Au MAC, un studio reconstitué avec les consoles son d’origine propose des playlists synthétiques que l’on retrouvera probablement en podcast à écouter sur Radio Bellevue Web (dont Le Petit Bulletin retrace la renaissance ici ou lawebradio.com là). Radio Bellevue Web qui d’ailleurs émettra en direct du MAC dans son petit studio installé au rez-de-chaussée du musée.
Outre ces expériences, Frigo touchera aussi – éphémèrement – à la télévision pirate, signera en 1988 l’architecture et la déco marbre et cuir du CNP Odéon. Ou collaborera par Couty au collectif – Δ t (Minus Delta t) et son Bangkok-Projekt. Le projet est de faire voyager un bloc de granit de 5 tonnes de Stonehenge jusqu’au Gange. Au fil de cette épopée, le rocher croisera la route de la bénédiction du pape Jean-Paul II, et le Dalaï-lama.
Saluons donc l’initiative du Mac de Thierry Raspail – autre compagnon de route du collectif – de nous faire découvrir ce pan underground de l’histoire artistique lyonnaise et internationale. Et réjouissons-nous de ce qui nous attend : si Radio Bellevue émet à nouveau, c’est parce que Faits Divers System, la société anonyme qui permettait de centraliser les financements de Frigo, est réactivé depuis 2014. Comme quoi, 2017 peut s’avérer porteur de bonnes nouvelles, finalement !
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Le frigo et des répétitions avec Electric Calas, puis des nuits et des dimanches soirs en « chute libre » sur Radio Bellevue.
Et la vie continue…..
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