La dernière fois que l’on a croisé Raphaël Ruffier-Fossoul sur ce site en janvier 2020, c’était pour présenter L’Arrière-cour, média d’info locale au format newsletter. Fraîchement débarqué de la rédaction en chef de Lyon Capitale, il sortait de l’écriture d’un documentaire politique dédié à Gérard Collomb, alors diffusé sur France 3 Auvergne Rhône-Alpes puis Public Sénat. Depuis, il reste tout autant occupé : en plus de L’Arrière-cour, de cours à donner en école de journalisme, d’une interview quotidienne à animer sur le site de Lyon Mag et un livre en cours d’écriture, il a trouvé le temps d’écrire et de co-réaliser avec Sigrid Buchy un documentaire. Diffusé sur France 3 Auvergne Rhône-Alpes, “Eric Piolle, le pèlerin vert” suit la campagne du maire de Grenoble, réélu en 2020, lors de sa campagne à la primaire EELV pour la présidentielle, autant qu’il décrypte la méthode qui lui a permis d’emporter la ville en 2014.

« Eric Piolle, le pèlerin vert »
Après Gérard Collomb en 2019, qu’est-ce qui a motivé ce deuxième documentaire politique, et pourquoi Eric Piolle ?
Avec Gérard Collomb, nous avions un personnage qui symbolise la figure du “baron local”, un personnage politique follement attaché à sa ville, qui lui a consacré sa vie, au point de se confondre parfois avec elle, et qui concentre tous les pouvoirs en laissant peu de place aux figures émergentes. Dans la campagne lyonnaise de 2020, Eric Piolle a d’abord émergé comme un contre-modèle : les adversaires des écologistes semblaient penser qu’il agirait comme un repoussoir. Et puis durant la campagne, les écologistes se sont mis à revendiquer cet héritage, puisqu’Eric Piolle avait démontré qu’ils pouvaient gagner une ville et la diriger. L’idée de faire un documentaire sur lui nous a semblé être une évidence, avec mon producteur Gilles Perez de 13 Productions : sur certains aspects, Eric Piolle, c’est l’inverse de Gérard Collomb. Ce qui m’a aussi intéressé, c’est qu’au moment où la gauche est particulièrement divisée partout en France, il avait réussi à faire une alliance entre les écologistes et la France Insoumise qui contre toute attente avait plutôt bien tenu durant le mandat. J’ai donc écrit un projet autour de “la méthode Piolle” qui a immédiatement été accepté par Aline Mortamet et Kamel Kezadri à France 3. J’avais aussi en tête la primaire écologiste, j’avais compris qu’il allait y participer et surtout je pensais qu’il pouvait la gagner. Il plait beaucoup aux militants écologistes et ils ont tendance à ne pas désigner les favoris, donc je me suis dit que cela pouvait être son tour. C’est comme ça que j’ai convaincu Sigried Buchy qu’on le réalise ensemble (rires). C’est elle qui a tourné toutes les images et elle a fait franchement un superbe boulot. Même en coupant le son, le film reste magnifique (rires). Ce qui serait dommage d’ailleurs, car ça nous priverait de la musique de Stéphane Panunzi. Et puis derrière, les équipes de France 3 ont elles aussi fait un super boulot, on a eu une grande chance de pouvoir s’appuyer sur eux et plus particulièrement sur François Tourtet pour le montage, qui a mis beaucoup de cœur à en faire un beau film, et nous a aidé à trouver la meilleure narration.

Le documentaire aborde la “méthode Piolle” pour remporter la ville de Grenoble en 2014, puis sa réélection en 2020. Comment Eric Piolle a-t-il réussi à concrétiser une union des gauches, et ce modèle est-il exportable à une échelle nationale ?
C’est au cœur de l’entretien que nous avons publié dans L’Arrière-Cour. La méthode Éric Piolle en matière d’union de la gauche, c’est de sortir de la logique de coalition entre partis, pour créer un collectif solidaire. Et en dehors de deux élus qui ont quitté la majorité, cela a plutôt bien tenu durant le premier mandat. Difficile de dire si c’est transposable au national, puisqu’il a perdu la primaire et en réalité il est même plutôt passé à travers durant cette campagne, ne parvenant pas à imposer ses thématiques, ni à susciter un intérêt médiatique. Ce qu’on a pu voir, c’est qu’il s’est efforcé de nouer des relations humaines avec la plupart des leaders de gauche de sa génération, avec la conviction que cela aurait pu l’aider à fédérer tout le monde le moment venu.

À plusieurs reprises dans le documentaire, Eric Piolle répète que “ce n’est plus le temps des lanceurs d’alerte et des contre-pouvoirs pour l’écologie politique, mais bien celui de l’accession au pouvoir”, concrétisé par son élection en 2014. Malgré sa défaite à la primaire, à la 4e place, peut-on dire qu’il représente une nouvelle génération à la mentalité plus conquérante chez les Verts ? Quelle est sa place et son influence au sein du parti ?
Il est respecté au sein du parti pour être le pionnier, le premier à avoir gagné une ville de 100 000 habitants, et oui, pour avoir insufflé cette culture de la gagne. Beaucoup d’équipes écologistes qui ont gagné en 2020 ont échangé avec lui durant la campagne. Dans cette famille politique, il est le seul finalement à avoir une réelle expérience de l’exercice du pouvoir. Et il a déjà en tête la présidentielle de 2027. Il fait le raisonnement que les maires écologistes sortants ne pourront pas se présenter, puisqu’ils devront d’abord se concentrer sur les municipales de 2026 et pourront difficilement se lancer dans la présidentielle juste après. Alors que lui a déjà annoncé qu’il ne fera pas de 3e mandat et sera donc libre de concourir à nouveau.
Pourquoi avoir donné une place importante à sa position sur la laïcité, dans le documentaire ? Le titre du documentaire y trouve-t-il là son origine ?
Comme souvent dans un titre, il y a plusieurs sens… Oui, son rapport à la religion nous a intéressé. Déjà, il se présente comme un catholique pratiquant, mais non croyant. L’évangile fait partie de sa matrice intellectuelle, et en réalité il multiplie les références religieuses dans les interviews qu’il nous a accordées. Sa position sur la laïcité fait par ailleurs souvent polémique, cela nous a donc forcément intéressés d’essayer de la décrypter.

Piolle est élu en 2014 à Grenoble. Il y est réélu en 2020, où les Verts prennent les manettes de nombreuses grandes villes. A-t-il eu une influence sur cette vague verte aux dernières municipales, au moins en AURA ?
Je ne pense pas que les Lyonnais aient voté pour les listes écologistes, parce qu’Éric Piolle leur aurait demandé de le faire, si c’est le sens de votre question. Mais je pense qu’on peut dire qu’il a eu un rôle sur l’attitude des candidats, qui les a aidés à gagner. En 2014, il a brisé le plafond de verre en montrant que les écologistes pouvaient battre les socialistes à une élection municipale. Cela a créé un précédent. Les listes écologistes qui se sont construites partout en France en 2020 avaient dans un coin de leur tête l’exemple de Grenoble. On ne fait pas tout à fait la même campagne quand on se dit qu’on peut réellement la gagner… Et je crois vraiment que les électeurs sont très sensibles à l’attitude des candidats, ils évitent de placer en tête ceux qui ne croient pas en leurs propres chances.
Eric Piolle a réduit la publicité en ville et développé les pistes cyclables, et a compté plusieurs soutiens régionaux, lors de sa candidature à la primaire…La méthode et la gestion Piolle sont-ils un modèle ou une influence pour Grégory Doucet et Bruno Bernard, à la ville et la métropole de Lyon ?
Aucun des deux n’a affiché publiquement de soutien lors de la primaire en tout cas. Je trouve qu’il y avait plus de ressemblances dans la campagne, que dans la gouvernance, même si naturellement il y a des parallèles à faire. C’est aussi lié au fait qu’ils sont dans des majorités différentes : Doucet et Bernard ont dû composer au deuxième tour pour l’emporter, leurs majorités sont constituées de plusieurs groupes.

Le documentaire et l’interview parue dans L’Arrière-Cour reprennent les critiques de l’opposition, lors de son élection de 2014 : inexpérience, majorité explosive… Des reproches qu’on retrouve dans les propos de l’opposition lyonnaise. Grégory Doucet et Bruno Bernard bénéficient-ils de l’expérience Piolle en la matière, ou gèrent-ils différemment les choses ?
Les situations sont différentes, les modes de gestion sont différents, mais il y a évidemment des parallèles à faire. Ce qui est comparable dans le rapport à l’opposition, c’est qu’il semble y avoir avant tout une volonté de s’adresser à leur électorat, quand les maires qui ont précédé menaient traditionnellement une politique d’ouverture, tentaient de se recentrer pour rassembler plus largement.
Lors des municipales de 2020, les candidats de tout l’échiquier politique ont inclus l’écologie dans leurs thèmes de campagne. Et les rapports du GIEC parus depuis pouvaient laisser penser que ce serait aussi un thème fort de la présidentielle. Or, il n’en est rien, ou presque. Et le candidat Yannick Jadot semble inaudible. Y a-t-il un “plafond de vert” qui empêche les thèmes écologiques de basculer d’un sujet local à une préoccupation nationale, dans cette campagne présidentielle ?
Non, je crois qu’il y a surtout un déficit d’incarnation. Les électeurs écologistes et de gauche ont l’air de considérer qu’aucun ou aucune des candidats en lice ne s’est préparé suffisamment sérieusement pour assumer la fonction présidentielle. Donc on les écoute moins et leurs thèmes ne s’imposent pas. Si l’un d’eux était à 15% ou 20% dans les sondages et donc en situation d’arriver au deuxième tour, ses thématiques s’imposeraient naturellement et les autres candidats seraient obligés d’en tenir compte. Ce n’est d’ailleurs pas tant une question d’arithmétique que de dynamique. On a vu en 2014 que Jadot + Hamon, au final, ça fait moins que Jadot ou Hamon seuls.

Malgré sa défaite à la primaire, Eric Piolle semble sûr de lui et de sa vision et se positionne déjà pour 2027. Quel avenir prédisez-vous à celui qui se décrit lui-même comme “radical et pragmatique” ?
Je dois être très mauvais en pronostics, puisque je pensais qu’il gagnerait la primaire (rires). Ensuite, c’est évident qu’on le reverra sur la scène nationale. À Grenoble, beaucoup disent qu’il pourrait être candidat aux élections européennes, voire même aux prochaines législatives. Je lui ai posé la question, il ne répond pas. Mais entre les lignes, on comprend qu’il n’a pas tellement envie de se retrouver parlementaire d’opposition… c’est tout de même moins intéressant que de gérer une ville. Donc il pourrait bien finir son mandat, avant de viser le national.

A-t-il été plus simple de réussir à monter ce documentaire que le précédent sur Gérard Collomb, qui a notamment rencontré des difficultés de financement auprès de la Région ?
C’est une question pour le producteur 13 Productions, plus que pour moi, car ça n’a en rien affecté mon travail. Ce qui s’est passé pour le film sur Collomb, et qui ne leur était jamais arrivé encore, c’est que le cabinet de Laurent Wauquiez est intervenu pour que le film ne soit même pas présenté à la commission normalement indépendante qui choisit les films financés ou pas, sur des critères artistiques. Ils ont prétendu qu’il y avait un problème juridique, auquel personne n’a cru, et cela a fait que la profession s’est mobilisée pour le dénoncer. Cette fois, le film n’a pas non plus été financé, allez savoir pourquoi (rires). Mais France 3 nous a soutenu depuis le début, ce qui est à souligner, car très peu de chaînes osent faire du documentaire politique aujourd’hui.
Outre la diffusion sur France 3 Auvergne Rhône-Alpes, une diffusion sur LCP ou Public Sénat est envisagée ?
Pas pour le moment. Mais ça viendra s’il s’impose sur la scène nationale (rires).
L’Arrière-Cour : bilan d’étape

Lancée en janvier 2020, L’Arrière-Cour fête ses deux ans d’existence et maintient un beau niveau de qualité dans le traitement des sujets. Quel bilan en tirez-vous, et où en est-on ?
Déjà, c’est un pari réussi, puisqu’effectivement, nous clôturons un deuxième exercice bénéficiaire. Nous avons un peu plus de 15 000 inscrits, un bon taux de lecture alors que les formats sont longs, et on continue de progresser en nombre de donateurs. Maintenant, je ne vous cache pas qu’il faudra que l’on passe un cap, pour que l’on soit à la hauteur de nos ambitions ! Et on souhaite pouvoir être un outil pour monter des projets, notamment la revue Chabe! dont le financement participatif sera lancé prochainement. Il s’agira d’une revue de qualité, qui aura pour slogan “Lyon, par ses photographes”. Lyon a la chance incroyable d’avoir beaucoup de photographes, beaucoup de femmes notamment avec un talent immense, on veut démontrer qu’ils et elles sont une richesse pour notre territoire.

L’Arrière-Cour va-t-elle traiter la présidentielle et les législatives, et si oui dans quel dispositif ?
Évidemment, nous le ferons toujours avec notre marque de fabrique, qui est d’essayer d’aborder les sujets de fond, en y apportant le plus possible de recul et d’expertise. Mais à titre plus personnel, mon urgence de janvier, c’est surtout de finir un livre… j’ai pris du retard avec la réalisation du film sur Piolle, l’éditeur s’impatiente ! (rires)
- Eric Piolle, le pèlerin vert, produit par 13 Prods, réalisé par Raphaël Ruffier-Fossoul et Sigried Buchy. Diffusion le jeudi 13 janvier 2022 sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes et à retrouver en replay sur le site de France Télévisions
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